Du sel sur l’objectif

Carnet d’un photographe embarqué

Manon Gimel skipper du Pen Duick V

Cinq jours en mer - Dans le sillage des Pen Duick

J’ai embarqué pour une navigation entre Lorient et La Rochelle, entouré de voiliers chargés d’histoire. Ces bateaux ne sont pas des reliques : ils naviguent encore, et racontent à chaque mille ce que la mer n’a jamais cessé de transmettre.

Le mien, ce fut Pen Duick V, construit en 1969 par Éric Tabarly. Il a marqué un tournant dans la course au large. Conçu pour aller vite, loin, et avec le moins de compromis possible. Aujourd’hui encore, il file droit, dynamique, vivant. Et pendant quelques jours, j’ai eu la chance de vivre à son bord — appareil photo à la main, océan autour, sel sur l’objectif.

Itinéraire salé – cinq jours entre vents et veille

Nous avons quitté Lorient pour une première escale à Belle-Île, avec une reprise directe dans le vent — au près, voile bien tendue, bateau incliné. Une première journée sportive, idéale pour se remettre dans le rythme.

Le lendemain, une perturbation nous a cloués à quai à Belle-Île. Le départ s’est finalement fait en début de nuit, pour une traversée vers l’Île d’Yeu. Navigation plus abattue, autour de 120 à 140° du vent, avec de la houle encore bien présente. Mais cette nuit restera marquante : clair de lune impressionnant, dauphins à l’étrave, et du plancton bioluminescent illuminant chaque vague, comme des feux follets marins. Une ambiance irréelle.

Le troisième jour, cap sur Les Sables-d’Olonne, avec une allure plus loffée, environ 40° du vent. Moins de mer que la veille, mais une houle encore marquée, qui faisait bien taper le bateau. Conditions idéales pour profiter du pont et faire des images.
L’entrée dans le chenal, après avoir tant suivi les départs du Vendée Globe depuis la terre, avait une saveur unique.

Le quatrième jour, route vers Saint-Denis d’Oléron, dans une allure plus calme au portant. Un moment propice pour profiter, échanger, respirer. Et surtout, pour photographier Pen Duick toutes voiles dehors, un objectif que j’attendais depuis longtemps.

Enfin, le cinquième jour, nous avons terminé entre Saint-Denis et La Rochelle, au travers, avec un léger clapot et un vent régulier, parfait pour une dernière ligne fluide, presque apaisée.

Se préparer à photographier en mer

Avant de partir, il a fallu penser simple, solide, efficace.
Le matériel devait tenir face à l’humidité, au sel, aux chocs.

  • J’ai embarqué un Canon R6 Mark II

  • Trois objectifs (16–35 mm, 24–70 mm, 70–200 mm) dans un sac étanche, prêt à dégainer sur le pont.

  • Et moi, bien équipé : bottes, veste de quart, couches chaudes. Parce qu’en mer, il faut être mobile, et prêt à tout.

Photographier sur un bateau en mouvement

En mer, l’équilibre devient la première règle.
Composer une image avec la houle, le vent, les embruns… Ce n’est pas figer la réalité, c’est l’accompagner, la suivre du regard et du corps.
On observe, on attend, et parfois on capte — une voile pleine, une tension dans le geste, une lumière fuyante sur le bois humide.

Beucoup d’images…floues

Un regard venu d’ailleurs

Je viens de la montagne.
C’est là que j’ai appris à lire la lumière, les lignes, la solitude. Et forcément, en mer, mon regard ne suit pas toujours les codes de la voile. On me l’a dit à bord : « tu ne regardes pas comme les autres ».
Je crois que c’est ce que je cherche.

Liberté et isolement

Même entouré, la mer isole.
Elle pousse au silence, à l’observation. Tout bouge, tout vit, tout respire. Et pourtant, elle apaise.
Mes images veulent raconter ça : cette liberté brute, cet isolement choisi, et cette grandeur calme.

Un moment fort en mer

Croiser Pen Duick en mer, toutes voiles déployées, restera une image marquante.
Pouvoir enfin le photographier depuis un autre bateau, après l’avoir vécu de l’intérieur, c’est comme si deux récits se croisaient.
Une scène simple, mais forte : du patrimoine vivant, en mouvement.

Et maintenant ?

Je suis revenu avec des images que j’aimerais réunir dans un petit livre, sans texte. Juste les photos. Pour laisser la mer parler.

Il me reste un projet en tête : photographier Pen Duick V depuis un autre bateau. Ce regard-là manque à ma série.
Et au-delà : continuer à embarquer, à documenter, à rencontrer.
Pourquoi pas un jour accompagner une équipe sur le Vendée Globe.

La mer ouvre l’imaginaire. Et c’est tout ce que je recherche.

Un immense merci à Manon Gimel, skipper du Pen Duick V, pour l’opportunité, sa patience et sa générosité à bord. Naviguer à ses côtés, c’est apprendre à lire la mer autrement, avec sensibilité, précision et humilité.

Merci aussi à Harold Camilli, équipier engagé et toujours attentif, pour les échanges, les manœuvres, les coups de main — et les moments partagés.

Et un grand merci à l’Association Éric Tabarly pour sa confiance renouvelée. Avoir la possibilité de documenter ces bateaux emblématiques et de contribuer, à ma manière, à faire vivre leur héritage, est un privilège que je mesure pleinement.

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Esthétisme & engagement